Roquelaure (Gers) – La Sioutat

Le village de Roquelaure se situe à 9 km au nord d’Auch dans une zone de coteaux à cheval entre les vallées du Gers, à l’est, et du Talouch, à l’ouest. Le site de La Sioutat occupe un promontoire rocheux qui se dresse à 100 m à l’est du bourg actuel. Sa partie centrale correspond à une élévation elliptique descendant en pente douce, vers l’est et l’ouest, et de manière plus abrupte, coté sud et nord. Il culmine à 239 m d’altitude et offre un point de vue remarquable sur la région, et ce jusqu’à plus de 10 km à la ronde. Mais une partie de l’agglomération devait se développer sur le coteau sud, comme le montrent les ramassages de surface. La surface totale du site peut donc être estimée à au moins 12 ha, et l’occupation s’étend du VIe s. au Ier s. de notre ère.

EPMP-Gardes_Roquelaure_situation-100-dpiSite de Roquelaure – La Sioutat – Situation

I. Historique des recherches

L’établissement de hauteur de La Sioutat est connu depuis la fin du XVIIIe s. Ainsi, Jean-François de Montégut rapporte l’existence dans la commune d’importants vestiges romains, dont au moins une partie correspond à des bains.

EPMP-Gardes_Roquelaure_VUE-GENERALESite de Roquelaure – La Sioutat – Vue aérienne

Les premières  fouilles archéologiques ne remontent pas avant les années 1960. Marcel Cantet et André Péré ont consacré plusieurs années de recherche au dégagement d’une partie d’un bâtiment antique situé à flanc de coteau. Une série de pièces en enfilade a ainsi été mise en évidence de même que des milliers de fragments d’enduits peints à décor figuratif, d’intérêt exceptionnel. A partir de la deuxième année, l’exploration a été en grande partie guidée par la recherche de nouveaux enduits. Les investigations ont cessé en 1970, à la suite d’une dernière campagne de sondages, préalable à la remise en culture du plateau.
Le site ne semble ensuite plus susciter l’intérêt des chercheurs avant les années 1980. Catherine Petit consacre alors une campagne de prospection pédestre et aérienne au territoire communal en 1987. A cette occasion, elle met en évidence, à travers une photographie aérienne, le plan complet de l’édifice reconnu dans les années 1960. Il s’agit en réalité d’un bâtiment beaucoup plus important, formé de quatre ailes donnant sur une cour centrale.

Depuis 2006-2007, le site fait l’objet d’un programme de recherches d’envergure, piloté par l’UMR 5608-TRACES toujours en cours. Une campagne de sondages, une fouille annuelle et deux programmes de fouilles triannuelles ont levé le voile sur le remarquable potentiel archéologique du plateau.

II. Le Premier âge du Fer et le début du Second âge du Fer (VIe-IIIe s. av. J.-C.)

Contrairement à ce que laissaient supposer les recherches des années 1960, des niveaux du Premier âge du Fer et des indices d’occupation du début du Second âge du Fer ont été observés depuis 2006.
L’étude de ces vestiges reste encore très modeste en raison du faible développement de la fouille. Mais la présence de couches en place a été vérifiée en sondage et à l’occasion de l’ouverture d’une fenêtre d’exploration en 2007. Les recherches ont ainsi révélé un angle de bâtiment défini par des trous de poteau profonds, et un sol de terre battue légèrement rubéfié en surface (VIe-Ve s. av. J.-C.). Ce sol est associé à une structure de combustion et à une zone de concentration de graines carbonisées.
En dehors de cette zone, du mobilier céramique trouvé hors-contexte mais aussi des objets caractéristiques, quelquefois exceptionnels (fibule à disques multiples, bracelet à pastillages), rendent compte d’une occupation postérieure datable des IVe et IIIe s. av. J.-C.

III. La fin de l’âge du Fer (140-20 av. J.-C.).

Cette période coïncide avec une intense occupation du versant. Le secteur a alors fait l’objet d’une profonde restructuration illustrée par l’aménagement d’un important système de terrasses. Ces dernières semblent desservies par des rues, dont au moins un tronçon a pour l’instant simplement été repéré. Les rues s’inscrivent dans un système parcellaire. C’est ce que suggère la découverte d’un fossé nord-sud qui borne l’emprise de fouille à l’ouest. Son rôle régulateur se déduit de sa longue durée d’utilisation. La période se subdivise en deux phases principales échelonnées entre la deuxième moitié du IIe s. av. J.-C. et les années 20/15 av. J.-C.

Les débuts de l’occupation en terrasses (140-60 av. n. ère)

Les terrasses n’ont pour l’instant été appréhendées en détail que dans la partie est de la fouille. Ces dernières correspondent à une succession de replats, taillés à flanc de coteau. Dans tous les secteurs où la fouille a atteint ces niveaux, on observe que les terrasses ont accueilli des sols plus ou moins rubéfiés en surface, servant d’assise à des structures d’habitat. Une deuxième phase est matérialisée par un réaménagement des structures d’habitat (recharges) et par l’apparition de nouvelles constructions, encore en cours de fouille. La plupart des niveaux de sol se présentent comme des épandages de mobilier remobilisés, disposés à plat, parmi lesquels les tessons d’amphore dominent très largement. Deux d’entre eux définissent des espaces construits rectangulaires, unicellulaires semble-t-il, d’une extension limitée à un peu moins de 20 m2.

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Une période de restructuration (60-20 av. J.-C.)

La période suivante est marquée par de profonds changements qui se manifestent à travers une restructuration du système de terrasses et le nivellement des niveaux antérieurs.
Dans la partie est de la fouille, les recherches ont pour l’instant révélé un bâtiment carré signalé par quatre puissants ancrages de poteaux (2,30 m de large), en lien avec un cinquième matérialisant une excroissance vers l’est (grenier, tour ou porche ?). Un autre espace habité se dessine sur la terrasse voisine, au sud, à travers un sol associé à des foyers, en cours de fouille.
Les modalités concrètes de l’occupation sont à l’heure actuelle un peu mieux cernées dans la partie ouest de l’emprise de fouille. Dans ce secteur, les vestiges d’un bâtiment associé à un espace extérieur ont été récemment mis en évidence.

L’état le plus ancien (60/50-40/30 av. J.-C.), matérialisé par des lambeaux de sols et une série de foyers juxtaposés, reste encore difficile à appréhender sur le plan spatial. Malgré l’impact de l’érosion et des remaniements engendrés par les occupations ultérieures, le bâti immédiatement postérieur peut être mieux caractérisé. Il semble orienté est-ouest et divisé en plusieurs pièces par des tranchées de sablière. L’une de ces pièces est de forme probablement rectangulaire (6,8 m de long environ pour au moins 3,3 m de large) et abrite deux zones foyères.
L’espace extérieur, situé plus au sud, se signale par un épandage de mobilier, à plat et discontinu, dans la masse duquel se distinguent deux états. La couche supérieure comprend un mobilier hétéroclite parmi lequel on note une forte proportion de faune, conservant parfois des connexions partielles. A sa base s’observe un premier niveau moins chargé en faune. Plusieurs fosses sont associées au niveau le plus récent, dont une, fouillée en 2010, a livré de nombreux restes de faune et en particulier deux crânes de bovidés déposés dans sa partie inférieure. Le mobilier collecté suggère l’existence d’activités de boucherie mais aussi de métallurgie dans les environs immédiats.

IV. Continuité et mutations à partir de 20 av. J.-C.

L’époque augustéenne ne coïncide pas, semble-t-il, avec une remise en cause globale de la topographie urbaine antérieure. Ainsi, même si les conceptions architecturales italiques se diffusent durant cette période, elles coexistent avec les traditions locales. De plus, les nouvelles constructions s’insèrent dans la trame préexistante, en respectant au moins partiellement le système de terrasses. Le maintien d’au moins un des fossés parcellaires vient conforter ce point de vue. Dans l’emprise de fouille deux constructions maçonnées ont été explorées depuis 2006.

Un bâtiment à fondations de pierres sèches (autour de 20 av. J.-C.)

Les recherches ont progressivement révélé depuis 2007 le plan d’un édifice situé en périphérie ouest de celui mis au jour en 1962. Il a subi une intense érosion qui a fait disparaître la quasi-totalité des sols ; les murs ne sont pratiquement plus conservés qu’en fondation. L’amorce des murs eux-mêmes n’a été épargnée que très ponctuellement. Le départ de l’élévation est constitué d’un assemblage de grosses pierres plates liées au mortier qui correspond sans doute à la base d’un mur en terre disparu (pisé ou pans de bois ?). Nous disposons désormais du plan pratiquement complet de l’édifice. Cependant, sa partie est a été partiellement détruite par une excavation réalisée dans les années 1960 et l’érosion pourrait avoir fait disparaître des structures côté nord. Dans son état actuel, la construction se présente comme un espace rectangulaire (17,10 x 13,45 m) qui s’organise, semble-t-il, à partir d’une cour centrale (10,80 x 7,60 m), encadrée sur trois côtés par des pièces oblongues. La pièce du sud présente un massif de pierres sèches qui pourrait correspondre à la base d’un escalier.

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D’après le plan de l’édifice, les arguments en faveur d’un bâtiment à vocation résidentielle apparaissent solides. Tant sa structure modulaire que son organisation interne renvoient, en effet, aux maisons à cour de tradition méditerranéenne. Nous aurions donc affaire ici à une des premières manifestations de l’architecture maçonnée italique dans la province romaine d’Aquitaine.

Une domus de type italique (entre 20 av. J.-C. et 15 ap. J.-C.)

Le bâtiment le plus vaste avait déjà été partiellement fouillé dans les années 1960 et son plan complet révélé par un cliché aérien en 1987. La fouille en cours ne concerne que sa partie sud. Les indices rassemblés permettent de penser que la construction s’étageait sur plusieurs niveaux pour compenser le pendage du versant. Ainsi, les pièces situées au sud possédaient très probablement un niveau de circulation surélevé et un réduit sous étage.

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Les principales caractéristiques de l’édifice peuvent désormais être fixées. Il s’inscrit dans un quadrilatère relativement régulier de 40 m de côté environ et présente une cour centrale sur laquelle donnent quatre ailes latérales, occupées par une série de pièces en enfilade. Le bâtiment est agrémenté côté sud par une galerie extérieure, accessible à partir d’un porche encadré de piliers. La cour est à peu près carrée et dotée d’un péristyle ou portique périphérique. L’aile sud est constituée de trois pièces de grande extension. Pour sa part, l’aile orientale est occupée par au moins deux salles, dont seule la plus au sud a été explorée en 2008 et provisoirement interprétée comme un espace de service (cuisine ?). Les données sur l’aile ouest sont également encore très partielles. La seule pièce dégagée entièrement s’inscrit dans un quadrilatère très régulier. Au-delà vers le nord, le corps de bâtiment est divisé en deux espaces dont les limites n’ont pas encore été reconnues. Enfin, l’aile nord n’est documentée qu’à travers un cliché aérien, qui  révèle l’existence d’une série d’au moins trois pièces.
Aucun sol de circulation n’a été identifié en raison de l’impact de l’érosion mais des éléments hors-contexte témoignent de l’apparat de la demeure avec d’innombrables tesselles blanches et noires de mosaïque et des fragments de sols en béton de chaux. Les enduits peints découverts dans les années 1960 témoignent également de la qualité de la décoration intérieure. Ils appartiennent à au moins une dizaine de panneaux peints dont plusieurs figuratifs (architectures en trompe-l’œil, Dionysos ou chasseur,…), formant un ensemble encore exceptionnel en Gaule, tant par son iconographie que par sa chronologie précoce.

La présence de ces édifices sur le plateau soulève de nombreuses questions, du point de vue de leur filiation mais aussi de leur statut. Les indices rassemblés montrent que nous avons toujours affaire à une agglomération, qui accueille encore une partie des élites ausques. La domus à cour centrale est à ce jour inédite dans la région et au-delà. Elle appartenait sans nul doute à un important personnage local, à un moment où Auch (Eliumberrum) semble prendre le pas sur La Sioutat au plus tard à l’issue des réformes augustéennes. Le site semble abandonné dans les années 40 de notre ère, à un moment où Auch connait une période d’expansion et de restructuration.


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