Léon Joulin, inventeur discret de la Protohistoire toulousaine

Quoique méconnu, Léon Joulin joue un rôle clef dans le développement de l’archéologie protohistorique à Toulouse au début du XXe s. Ses fouilles et publications en font l’inventeur principal des grands sites de l’âge du Bronze final et de l’âge du Fer toulousains. 

L’homme et sa carrière professionnelle

Georges Léon Joulin est né le 7 juin 1838 à Tours et meurt le 31 août 1928 à Saint-Avertin (Indre-et-Loire). Ancien élève de l’Ecole polytechnique, docteur ès sciences physiques (1872), Maître de conférences en chimie à la Faculté des Sciences de Toulouse (1877-1883), il fait principalement carrière dans l’administration et l’industrie militaires à Toulouse. Il est promu notamment au poste d’Ingénieur en Chef de 1ère classe des Poudres et salpêtres, puis devient en 1874 directeur de la Poudrerie nationale de Toulouse. Parallèlement, Léon Joulin accomplit différentes missions de renseignement militaire à l’étranger, notamment en Prusse, des années 1864 à 1883, et semble-t-il avec un certain succès. Cette carrière professionnelle de notable est couronnée en 1894 lorsqu’il est fait officier de la Légion d’honneur. Léon Joulin prend sa retraite en 1900, ce qui lui laisse plus de temps pour des recherches en archéologie, spécialement protohistorique.

Vie savante

Léon Joulin n’a pas laissé d’archives répertoriées. Ses collections archéologiques sont aujourd’hui dispersées dans différents musées (Musée Saint-Raymond, Musée des Amis du Vieux Toulouse, collections de la Société archéologique de Touraine) et ne sont pas nécessairement bien identifiées. Des vestiges mobiliers sont perdus, mais sans que l’on sache précisément ce que cela représente comme lacunes. Ce sont essentiellement les publications et notes dans les bulletins des sociétés savantes qui permettent de mieux cerner son apport à la Protohistoire régionale.

Léon Joulin est représentatif de la sociologie des archéologues s’intéressant aux antiquités nationales à l’articulation des XIXe et XXe s. Il appartient aux cercles de la notabilité érudite toulousaine et tourangelle, puisqu’il fut notamment membre de la commission du Musée Saint-Raymond à son ouverture (1891), de la Société archéologique du Midi de la France (ill.1), de la Société archéologique de Touraine et ancien trésorier perpétuel de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse. Ses relations avec le milieu savant toulousain se distendent toutefois à la fin des années 1900, suite à des conflits portant sur le financement de ses fouilles et le devenir du mobilier archéologique issu de ses recherches. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles ses travaux n’obtinrent pas une pleine reconnaissance par la suite.

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ill. 1 – Léon Joulin en compagnie d’autres membres de la Société archéologique du Midi de la France sur le perron de l’hôtel d’Assézat pour l’accueil d’une promotion de l’École des Chartes en 1896. Recadrage d’une photo conservée au Musée Paul Dupuy.

Recherches archéologiques de terrain

Peu avant et au début de sa retraite, de 1898 jusqu’au début des années 1910, Léon Joulin réalise l’essentiel de ses recherches consacrées à la Protohistoire régionale, sachant qu’il contribue aussi à l’étude de l’Antiquité avec ses fouilles du grand établissement antique de Chiragan à Martres-Tolosane (Haute-Garonne), de 1897 à 1900.

Il a décrit, fouillé, étudié et publié les sites et vestiges archéologiques de la rive droite de la Garonne localisés au sud de l’agglomération toulousaine, plus précisément sur les coteaux de Pech David et ses marges. Ces sites sont proches des usines de la Poudrerie de Toulouse installée sur l’île d’Empalot, ce qui n’est peut-être pas un hasard. Sur la première terrasse de la Garonne, au quartier Saint-Roch, l’emplacement de la future caserne Niel et ses environs immédiats ont été fouillés ou observés par ses soins de 1901 à 1903, sans doute au moyen de tranchées. 150 cavités, réparties entre fosses, silos et puits, sont recensées (Joulin 1911). Il s’agit là des premières fouilles de sauvetage faites dans la région puisque les recherches sont effectuées durant les travaux de fondation des bâtiments militaires. Il est probable que le passé professionnel de Léon Joulin lui ait permis d’accéder plus facilement aux terrains. A l’extrémité sud du coteau de Pech David, Léon Joulin sonde l’éperon barré du Cluzel de 1907 à 1912, et le considère comme une nécropole à crémation associée à un habitat. Ce dernier serait englobé dans un établissement plus vaste, installé principalement à Vieille-Toulouse. Un peu plus loin, l’éperon d’Estarac est identifié aussi comme une occupation gauloise partie prenante de cet établissement. Léon Joulin a aussi prospecté le plateau de Vieille-Toulouse et réalisé quelques fouilles à partir de 1900. Les sépultures, niveaux d’habitat, puits et autres fosses domestiques mis au jour sur l’ensemble de ces sites, mais aussi l’exhumation d’un mobilier abondant représentent des découvertes importantes à l’époque, ainsi que l’a signalé Joseph Déchelette. Le mobilier de ces fouilles peut encore être étudié avec profit, notamment pour documenter des objets originaux ou bien des périodes mal connues de la Protohistoire toulousaine (ill.2).

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Fig. 2 – Fragment d’anneau de cheville à nodosités du IIIe s. av. J.-C. issu des fouilles de Léon Joulin à Vieille-Toulouse. Dessin P.-Y. Milcent.

Publications

Les articles consacrés à la Protohistoire par Léon Joulin datent des années 1900 et 1910. Ils sont suffisamment nombreux pour se faire une idée assez précise de ses méthodes d’investigation, des résultats qu’il obtient, et de ses concepts. Au sujet du Toulousain, les derniers articles répètent les informations fournies dans les premiers. Ces informations demeurent très synthétiques, ce qui ne permet pas, sauf exceptions, de savoir ce que Léon Joulin a découvert dans le détail.

Dans les publications, les plans insérés en appui aux descriptions montrent un attachement à la prospection de surface, à la topographie et à l’étude des retranchements, qu’ils soient naturels ou artificiels, autant de préoccupations qui peuvent s’expliquer par une formation militaire.

Société française d'archéologie classique. Revue archéologi


ill. 3 – Carte archéologique dressée par Léon Joulin des vestiges protohistoriques de Toulouse et ses environs (Joulin 1912 pl.B).

Plus largement, la carte archéologique des sites protohistoriques du Toulousain proposée par Léon Joulin est la première du genre (ill.3) ; celle-ci soutient la comparaison avec les cartes les plus récentes puisque tous les principaux sites sont déjà recensés et précisément localisés. Quelques coupes et descriptions révèlent un certain sens de la stratigraphie, mais surtout le fait que les fouilles sont encore réalisées au moyen de simples tranchées (ill.4). Le mobilier  céramique occupe une place très importante dans ses publications, ce qui est nouveau dans les études sur la région. Les tableaux de comptage de la céramique et la caractérisation de la faune découvertes dans le quartier Saint-Roch apparaissent également originaux pour l’époque.

Société française d'archéologie classique. Revue archéologi


ill. 4 – Relevés par Léon Joulin de fosses et puits protohistoriques du quartier Saint-Roch à Toulouse (Joulin 1912 pl.D).

En fouillant à l’emplacement de la caserne Niel, Léon Joulin met au jour dans le quartier Saint-Roch une quinzaine de sépultures à crémation appartenant à une nécropole de la fin de l’âge du Bronze et du premier âge du Fer (renvoi notice Cécile Rousseau), 140 fosses et puits d’un habitat du IIe s. av. J.-C. (renvoi notice Guillaume Verrier), ainsi que quelques vestiges de crémations d’époque romaine. La complexité du site et l’inadéquation des techniques de fouilles l’amènent à considérer, abusivement, que les trois périodes se succèderaient (nous savons aujourd’hui qu’un hiatus les sépare). Il suppose aussi à tort que la nécropole fondée à l’âge du Bronze aurait perduré jusqu’à l’époque romaine (Joulin 1911). Bien qu’il ne soit pas le premier à formuler la théorie des pseudo-puits funéraires, Léon Joulin, par ses fouilles et publications, est celui qui l’impose dans le paysage intellectuel toulousain pour près d’un siècle. Le fait que les fosses et puits gaulois de Midi-Pyrénées ont été interprétés systématiquement en tant que tombes jusqu’à une époque très récente en est la preuve.

A Vieille-Toulouse, Léon Joulin est sans doute le premier aussi à caractériser l’occupation de l’âge du Fer en s’appuyant sur des prospections et fouilles archéologiques. Le site était connu depuis longtemps par des récoltes de surface, mais il n’avait jamais été étudié et interprété de cette façon. Fort de ses lectures aussi (Joulin s’intéresse de près aux résultats des recherches conduites sur l’oppidum du Mont Beuvray, en Bourgogne, par Gabriel Bulliot et son neveu Joseph Déchelette avec lequel il correspond activement), Léon Joulin défend l’idée que l’habitat de Vieille-Toulouse est « le grand oppidum des Tolosates », dont dépendrait l’habitat-nécropole du quartier Saint-Roch (Joulin 1901).

Conclusion

Par ses enquêtes archéologiques étendues et ses conceptions relativement nouvelles, Léon Joulin est pionnier dans la recherche sur la fin de l’âge du Bronze et l’âge du Fer de Toulouse et ses environs. Ses ambitions ne s’arrêtent pas là puisqu’il fait régulièrement référence à des sites plus éloignés et à un contexte élargi, de même qu’il publie plusieurs synthèses couvrant le sud de la France et la péninsule Ibérique, et même l’Europe entière, dans un périodique aussi prestigieux que la « Revue archéologique ». L’usage privilégié qu’il fait du terme de « Protohistoire » dans ses articles, à une époque où ce néologisme de la seconde moitié du XIXe s. est d’un usage peu fréquent, montre également qu’il a conscience d’inventer la Protohistoire toulousaine et de participer, plus largement, à l’étude des âges des métaux européens.

Bibliographie sélective des travaux de Léon Joulin :

*Joulin L. 1901, Le grand oppidum des Tolosates, Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 45e année, 4, p.518-521.
*Joulin L. 1910, Les âges protohistoriques dans le sud de la France et dans la Péninsule hispanique. Revue Archéologique, 4e sér., XVI, p.1-29.
*Joulin L. 1911, Les âges protohistoriques dans le sud de la France et dans la Péninsule hispanique. Deuxième partie. Revue Archéologique, 4e sér., XVII, p.15-40.
*Joulin L. 1912, Les sépultures des âges protohistoriques dans le sud-ouest de la France. Revue Archéologique, XIX, p.1-59.


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