La céramique ibérique à Tolosa
La fouille des sites gaulois rattachés au territoire de Tolosa a permis de mettre au jour un certain nombre de poteries de facture ibérique. La part de ce mobilier ibérique ne représente qu’une infime proportion des céramiques provenant de ces sites (par exemple jusqu’à 2% pour les fouilles récentes). Néanmoins, sa présence permet d’attester de contacts avec les populations du nord-est de la péninsule Ibérique et du Languedoc occidental. Les poteries ibériques retenues ici proviennent de deux sites aujourd’hui bien connus : Vieille-Toulouse et Saint-Roch (néanmoins nous connaissons aujourd’hui d’autres sites du Toulousain qui ont livré des céramiques ibériques). Le premier est situé à environ 5 km au sud de l’actuelle ville de Toulouse, tandis que le deuxième est un quartier de l’agglomération toulousaine.
Description du matériel
La céramique ibérique est un vaste groupe qui rassemble des productions de techniques et de technologies différentes, dont cinq et peut-être même six ont été identifiées sur les sites de Vieille-Toulouse et de Saint-Roch.
La catégorie des céramiques ibériques peintes à pâte claire (IB-PEINTE d’après la nomenclature du Dicocer*), est reconnue comme étant le marqueur culturel le plus évident en raison de sa répartition homogène sur l’ensemble du domaine ibérique, qui s’étend sur la frange est de la péninsule, depuis le nord de l’Andalousie orientale jusqu’au Languedoc occidental. Ces céramiques sont cuites à très haute température, avec des tonalités de pâte allant du beige au rose clair, sans dégraissant apparent et elles sont très souvent agrémentées d’un décor peint en rouge (aux tons ocres ou lie de vin). La principale forme recensée sur les sites gaulois du Toulousain est le kalathos, parfois appelé sombrero de copa, qui est une forme emblématique du répertoire morphologique des pâtes claires ibériques à l’Ibérique Récent (fin du IIIe au milieu du Ier s. av. J.- C.) **. Il s’agit d’un vase à panse cylindrique dont la lèvre présente la caractéristique d’être plate et systématiquement saillante vers l’extérieur, quelle que soit la variante. Cette morphologie du bord permet la fermeture du vase à l’aide d’une peau tendue ou d’un tissu fixé sous la lèvre. La majorité des kalathoi ont été découverts dans des puits, mais certains fragments apparaissent dans d’autres structures ( Benquet et Gardes 2012, p.57 ).
* Adroher 1993. Afin d’uniformiser les références bibliographiques, nous rappellerons pour chacune des catégories la nomenclature utilisée dans le Dicocer (Py (dir.) 1993)
** Même si le kalathos est la forme la plus représentée sur les sites concernés, d’autres formes ont été enregistrées, comme par exemple une coupe de type 3811f à Saint-Roch (nomenclature du Dicocer), qui est une coupe à vasque profonde ayant la particularité d’avoir un bord très similaire à celui du kalathos (Benquet et Gardes 2012, p.57)
La deuxième catégorie la plus représentée est celle des céramiques grises dites ampuritaines ou de la côte catalane (COT-CAT) (Castanyer et al. 1993c). Ces poteries à parois fines sont tournées et cuites en atmosphère réductrice, leur conférant une couleur grise ; leur pâte compacte présente un dégraissant de fines particules blanches, et rend un son métallique. Cet ensemble essentiellement produit sur la côte catalane connait cependant une large diffusion. Deux formes sont recensées à Vieille-Toulouse et Saint-Roch : le gobelet à une anse et la coupelle. Comme pour la catégorie précédente, ce matériel apparait dans différentes structures mais surtout dans des puits. L’étude de la stratigraphie des puits révèle que cette céramique est plus fréquente au IIème qu’au Ier s. av. J.-C. (Moret 2002, pp.175-176).
Deux autres catégories de céramique ibérique sont connues sur les sites de Vieille-Toulouse et Saint-Roch, et si déjà les deux premières catégories ne représentent qu’une part très minoritaire parmi l’ensemble du matériel, ces dernières apparaissent de façon encore plus sporadique. Ce sont d’abord des céramiques communes ibériques (COM-IB ; Castanyer et al. 1993b), qui sont généralement associées à la céramique de cuisine (préparation, service, etc.). Selon la définition du Dicocer, cette catégorie céramique rassemble des productions différentes, mais qui ont pour point commun l’absence de décor peint. De manière générale, les pâtes de ces céramiques sont proches de celles des céramiques ibériques à pâte claire, ou parfois même des amphores ibériques. À Saint-Roch, ce sont quatre formes appartenant à ce répertoire qui ont été identifiées : un pot à bord en col de cygne, des gobelets, des jattes à goulot verseur, et des mortiers.
L’autre catégorie est celle des céramiques à pâte rouge-orangé et à engobe blanc provenant de la côte catalane (CAT-ENG ; Castanyer et al. 1993a). Les poteries de ce type sont cuites en atmosphère oxydante, présentent des pâtes fines dites « sandwich » en raison de la superposition des couches colorées, et sont recouvertes d’un engobe blanc ou beige peu résistant. Des exemples très fragmentés et d’autres mieux conservés ont été mis au jour dans des niveaux du IIème et du premier quart du Ier s. av. J.-C. à Vieille-Toulouse, dont un puits (puits XLII) (Gorgues 2014, p.309). Parmi les formes identifiées, l’une d’elle correspond à une cruche munie de deux anses asymétriques.
Il faut aussi mentionner quelques très rares fragments de céramiques à engobe rouge rappelant les productions dites ilergètes, qui sont produites dans la région occidentale de la Catalogne aux confins de l’Aragon, essentiellement pendant le IIIème s. av. J.-C. Enfin, un vase à bord plat présentant une pâte « sandwich », à la surface brune et décorée de peinture blanche pourrait bien correspondre à une poterie ibérique ou celtibérique (Gorgues 2014, p.309).
Importations et imitations
Les sites gaulois de Vieille-Toulouse et de Saint-Roch n’ont livré qu’une faible quantité de poteries ibériques. Néanmoins, au-delà de leur présence qui est déjà un indicateur de contacts et d’échanges entre ces populations tolosates et celles du nord-est de la péninsule Ibérique, l’examen détaillé de ce mobilier a permis de préciser les origines de ces ensembles, s’il s’agissait d’importations ou de copies régionales.
Une des premières études sur la provenance de ce matériel a été faite en 2002 par Pierre Moret, à partir d’un lot provenant de plusieurs puits de Vieille-Toulouse (Moret 2002, pp.175-178). Les pâtes des céramiques grises correspondent aux productions du nord-est de la Catalogne (Ampurias ou sa périphérie) ; pour les pâtes claires peintes en revanche, si certains kalathoi ont été importés, les autres seraient des copies provenant d’ateliers locaux ou languedociens. Cette production de kalathoi dans des ateliers languedociens semble se confirmer (même si elle reste assez marginale) selon les résultats des recherches de Thomas Le Dreff qui a identifié dans l’atelier de Bouriège dans l’Aude quelques imitations de kalathoi (Le Dreff, T.1, p.260 ; T.3, pl.250).
En 2014, Alexis Gorgues a pu baser son analyse sur une masse de données plus importante (Gorgues 2014, pp.307-309). Parmi les imitations, il faut compter, en plus des kalathoi, un certain nombre de gobelets gris de la côte catalane qui auraient aussi été imités dans des ateliers locaux. Alexis Gorgues défendait l’hypothèse d’importations depuis la péninsule par voie de terre, à travers les Pyrénées, pour les céramiques engobées catalanes. Les céramiques grises catalanes et les pâtes claires peintes, quant à elles, seraient arrivées après une étape maritime entre la Catalogne et l’Aude, à l’ouest de l’Hérault.
Les puits d’où proviennent ces céramiques ibériques contenaient également des bords d’amphores où étaient apposées des marques peintes en ibère, et d’autres exemples de céramiques allogènes comme la céramique claire non tournée massaliète. L’ensemble de ces données a permis à Alexis Gorgues d’avancer l’idée d’une communauté de marchands méditerranéens à Tolosa, qui utiliserait la langue ibère pour encadrer ces échanges (Gorgues 2013, p.738).
Conclusion
Différentes catégories de céramique ibérique sont présentes sur les sites gaulois du Toulousain et attestent des contacts directs et indirects entre les populations du nord-est de la péninsule Ibérique et les Gaulois de Tolosa. En raison de la très faible quantité de céramique ibérique, la question de la nature de ces relations reste en suspens, mais elle témoigne tout de même des échanges entre ces populations, certes non intensifs mais bien réels. Si le kalathos était le vase le plus importé, c’est très certainement en raison de son contenu probablement très apprécié par les populations locales, qui pouvait être du miel, des fruits secs ou encore des produits de salaisons, etc. Enfin, si ces populations de Tolosa appréciaient le produit importé, elles semblent en avoir également apprécié le contenant, allant jusqu’à copier la forme dans des ateliers locaux.
Bibliographie
Benquet et Gardes 2012 : Benquet (L.), Gardes (P.) – « La culture matérielle des Gaulois de Toulouse (IIe-Ier siècles avant notre ère) : le mobilier céramique », in Mémoires de la Société Archéologiques du Midi de la France, t. LXXI, Toulouse, 2011, pp.15-57
Gorgues 2014 : Gorgues (A.) – « L’horizon pyrénéen de la Tolosa gauloise », In Boube (E.), Bouet (A.), Coleoni (F.), (Eds.), De Rome à Lugdunum des Convènes : itinéraire d’un Pyrénéen par monts et par vaux : hommage à Robert Sablayrolles, Ausonius, Pessac, 2014, pp. 305-320
Gorgues 2013 : Gorgues (A.) – « Une communauté de marchands méditerranéens à Tolosa au IIe s. a.C. », in L’âge du Fer en Aquitaine et sur ses marges. Mobilité des hommes, diffusion des idées, circulation des biens dans l’espace européen à l’âge du Fer, Actes du 35e Colloque international de l’AFEAF (Bordeaux, 2-5 juin 2011), Bordeaux, 2013, pp. 737-745
Le Dreff 2015 : (Données inédites), Le Dreff (T.) – Productions céramiques et échanges au Second âge du Fer dans le sud-ouest de la France, thèse de doctorat soutenue le 17 septembre 2015 à l’Université de Toulouse – Jean Jaurès
Moret 2002 : Moret (P.) – « La céramique ibérique et ses imitations à Vieille-Toulouse », in Pailler (J.M.) (dir.) Tolosa. Nouvelles recherches sur Toulouse et son territoire dans l’Antiquité, Rome, 2002, pp.175-178
Py (dir.) 1993 : Py (M.) (dir.) – Dicocer : dictionnaire des céramiques antiques en Méditerranée nord-occidentale : VIIème s. av. n. è – VIIème s. de n. è., Provence, Languedoc, Ampurdan, Ed. De l’Association pour la recherche archéologique en Languedoc oriental, Lattes, 1993,
- Adroher 1993, Céramique ibérique peinte, pp. 470-484
- Castanyer et al. 1993a, Céramique catalane engobée, pp. 156-157
- Castanyer et al. 1993b, Céramique commune ibérique, pp. 351-356
- Castanyer et al. 1993c, Céramique grise de la côte catalane, 391-397
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