Émile Cartailhac et l’archéologie en Midi toulousain

Texte repris de l’article : S. Dubois et S. Péré-Noguès, « Émile Cartailhac (1845-1921) et les débuts d’une archéologie institutionnelle en Midi toulousain », dans J.-F. Courouau et H. Débax (dir.), 100 ans de recherches méridionales à Toulouse. L’Institut d’études méridionales (1914-2014), PUM, Toulouse, 2018, p. 139-148.

Dans l’historiographie de la préhistoire, le nom d’Émile Cartailhac est resté attaché à un célèbre article, le Mea culpa d’un sceptique, dans lequel le savant reconnaissait – chose rare – son erreur d’avoir dénié l’existence d’un art pariétal paléolithique. Archéologue, professeur, conservateur et directeur d’une revue importante de préhistoire, il demeure l’une des figures majeures du développement des sciences préhistoriques mais aussi de l’archéologie dans le Midi toulousain. Né le 15 février 1845 à Marseille dans une famille protestante, dont les attaches sont tarnaises du côté paternel et aveyronnaises du côté maternel, il suit d’abord à Lyon ses études secondaires, puis arrive en 1860 à Toulouse où il intègre le Lycée, devenu en 1957 le Lycée Pierre de Fermat. Bachelier, Cartailhac s’inscrit à la faculté de droit et suit en parallèle des cours à la faculté des sciences, inspiré et appuyé en ce sens par le cousin de sa mère, le naturaliste Armand de Quatrefages (1810-1892). Reçu à l’examen du barreau en 1868, ce sont d’autres perspectives que les prétoires qui attirent le jeune Émile : pendant les périodes estivales, il séjourne dans la demeure familiale de Saint-Affrique, demeure qu’il continuera à fréquenter avec bonheur jusqu’à sa mort. C’est aussi dans cette région qu’il commence ses premières explorations archéologiques aux côtés de l’abbé Victor Ancessy (1842-1878). Il fouille plusieurs dolmens du secteur et en 1866, il sollicite son admission à la Société des lettres, sciences et arts de l’Aveyron par un courrier au président Adolphe Boisse, en soulignant « Je suis aveyronnais par mes intérêts et par ma famille » (fonds E. Cartailhac 13-J-1, Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron).

Dès 1865, il envoie un compte rendu de ses fouilles à la revue des Matériaux pour l’histoire positive et philosophique de l’homme, périodique fondé quelques mois auparavant et dirigé par Gabriel de Mortillet (1821-1898). Ses travaux en Aveyron et en Lozère vont également attirer l’attention des savants parisiens, puisqu’en 1867, il est appelé à collaborer avec Gabriel de Mortillet et le paléontologue Edouard Lartet (1801-1871) pour organiser la « Galerie de l’histoire du travail » à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris. Deux ans plus tard, il siège au bureau du Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques, structure qui devait activement contribuer à initier l’institutionnalisation de la préhistoire en France.

Dès les années 1860, c’est donc un jeune homme très actif, qui commence à se faire connaître de la première génération des préhistoriens, mais qui est aussi très impliqué dans la vie savante toulousaine. En 1866, il est ainsi co-fondateur de la Société d’histoire naturelle de Toulouse et reçoit la médaille de bronze de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse. L’année suivante, en 1867, il devient membre de la Société archéologique du Midi de la France dont il sera président entre 1914 et 1921. En 1869, il crée d’ailleurs  les Bulletins de la Société archéologique du Midi de la France, afin de garder la trace des communications présentées lors des séances, et il les ouvre au public.

C’est d’abord avec le Muséum d’histoire naturelle de Toulouse que le jeune amateur noue d’étroites relations. Il entre en effet dès 1864 en contact avec l’établissement, alors dirigé par Édouard Filhol (1814-1883), pour céder à l’institution le fruit de ses trouvailles archéologiques aveyronnaises. En 1868, il est sollicité pour assister le conservateur-adjoint Eugène Trutat (1840-1910) dans l’organisation d’une « Galerie des cavernes », première tentative du genre en Europe visant à consacrer cette science encore méconnue du public. D’abord sans véritable titre – il n’est qu’attaché de conservation à partir de 1869 –, il devient quelques années plus tard conservateur-adjoint sous la direction du naturaliste Jean-Baptiste Noulet (1802-1890) entre 1872 et 1876. C’est alors qu’il est à peine intégré au personnel du Muséum que Cartailhac rachète la revue les Matériaux à Gabriel de Mortillet pour la coquette somme de 2000 francs. Avec l’aide de son confrère Eugène Trutat, ils feront du périodique un organe directement lié aux activités du Muséum de Toulouse et aux grandes institutions nationales. Mais vingt ans plus tard, après de sérieuses difficultés financières, les Matériaux fusionneront avec d’autres revues pour devenir en 1890 L’Anthropologie.

En 1876, remercié par la municipalité, il n’en continue pas moins d’œuvrer pour le Muséum, en particulier lorsqu’est confiée à Trutat la direction de l’établissement, entre 1890 et 1900, mais surtout il s’engage dans la vie politique toulousaine. En 1884, il se présente en effet sur une liste républicaine radicale et, fort de sa réputation au sein de la cité, est élu au premier rang. Il refuse pourtant la fonction de maire et même d’adjoint, préférant siéger comme simple conseiller.

En 1901, alors qu’Eugène Trutat prend ses distances avec le Muséum, la direction de l’établissement passe sous la tutelle d’une Commission technique, dans laquelle siège Émile Cartailhac. Il continue de remplir sa mission de conservation pour la section d’Anthropologie préhistorique, ce qui le place au cœur d’un réseau de musées nationaux (Muséum National d’Histoire Naturelle, Musée des Antiquités Nationales) et provinciaux (Muséum de Montauban, Musée de Mont-de-Marsan, de Marseille ou de Lyon). Ce rôle fut déterminant, comme le montre la correspondance : par le biais de ses contacts, il échange des collections qui viennent de toutes les régions de France et du monde enrichir les galeries du Muséum. En 1908, alors que le Muséum est placé sous la responsabilité d’une « administration périodique », Cartailhac y conserve toujours sa charge avec une indemnité de 800 francs par an.

Une autre mission lui sera confiée dans les années 1910 : la direction du Musée des Antiques de Saint-Raymond, musée dont il est un des co-fondateurs en 1892. Comme pour le Muséum, il se préoccupe d’acheter des collections d’antiques ou d’en échanger avec d’autres musées. Il devient surtout un interlocuteur privilégié des archéologues régionaux, étant averti des nouvelles découvertes ou de la déshérence de certaines collections. Jusqu’à la fin de sa vie, Émile Cartailhac conservera ses titres de directeur ou conservateur.

À partir de 1902 Cartailhac aux côtés du jeune abbé Henri Breuil (1877-1961), se lance dans l’exploration de grottes ornées où sont (re)découvertes des peintures et gravures : Marsoulas, Niaux, Gargas… D’autres centres d’intérêt l’occupent et sont liés à deux domaines : l’âge du Bronze (avec ses voyages aux Baléares et en Sardaigne) et l’époque « protohistorique ».

En 1881, il demande l’autorisation auprès du Ministère de l’Instruction publique d’un cours libre et gratuit d’« histoire naturelle de l’homme » à la faculté des Sciences. Cette permission accordée, le cours débute à l’hiver 1882. Sur les recommandations de son collègue Jean-Baptiste Rames (1832-1894), lui-même ancien étudiant en géologie de la faculté des Sciences, Cartailhac est secondé dans cette nouvelle tâche par un jeune paléontologue, Marcellin Boule (1861-1942), récemment arrivé à Toulouse. Ce cours, parmi les premières tentatives en France dans ce domaine [1], remporte rapidement un certain succès jusqu’à son interruption en 1888, peut-être pour des raisons politiques et des inimitiés personnelles.

À partir de 1891, Cartailhac obtient du Conseil des Facultés de Toulouse l’autorisation d’assurer un cours d’anthropologie qui se tient cette fois à la Faculté des Lettres. Le succès que rencontre cet enseignement se confirme et, à chaque session, Cartailhac fait d’autant plus salle comble que les thématiques sont renouvelées. La plupart des leçons sont complétées par des visites au Muséum d’Histoire naturelle de Toulouse et au Musée Saint-Raymond.

En 1906, le cours libre est officialisé comme cours d’archéologie préhistorique à la faculté de Toulouse et il en est le titulaire (Rapport du Conseil de l’Université de Toulouse, 1906-1907, 1907, 12 et 139).

Le rôle de Cartailhac dans l’archéologie midi-pyrénéenne fut donc déterminant aussi bien du point de vue institutionnel que scientifique. L’objectif est aujourd’hui d’en retracer le parcours, le parcours d’une « vie savante » riche et féconde pour les générations qui ont ensuite pris la relève.

PCR « Émile Cartailhac (1845-1921) : jalons d’une carrière au service de l’archéologie »

[1] Ernest Chantre (1843-1924) initie à la Faculté des Sciences de Lyon, un enseignement similaire pour l’année universitaire 1880-1881.


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